« Elle a perdu sa bataille contre le cancer. »
Je lis souvent cette phrase aussi impitoyable que rébarbative.
Et je me sens toujours vaguement irritée- une légère gène, rien qui ne soit urgent à formuler. Mais là, j’ai atteint ma limite. Quand à dix ans, Aaliyah Mitchell meurt du cancer, elle a aussi droit à son article faisant l’éloge de sa bravoure, et regrettant la « perte de son combat contre le cancer ».
Oui mes amis, un journaleux nous apprend qu’une enfant de dix ans a personnellement merdé dans son combat contre le cancer.
Que la terminologie militaire et belligérante aie envahi les discussions sur le cancer, cela se comprend aisément. Dans des circonstances aussi difficiles, la.e malade et sa famille se raccrochent à ce qu’illes peuvent, surtout ce qui semble contrôlable –sinon, il ne reste qu’un abîme d’incompréhension, de peur et d’injustice.
Mais ce vocabulaire de lutte et de combat, de victoire et de défaite est non seulement à côté de la plaque… mais encore une fois -une fois de trop- l’accent est mis sur l’individuel au mépris du collectif.
Comme si l’issue de la maladie dépendait de la capacité combative (voire de la bonne volonté ?) de la/du malade. Si la « combativité » face au cancer se mesurait en guérison, qu’est ce que cela fait des perdants ? Des fainéants ? Des bons à rien ? Des glandeurs motivés? Et puis d’abord, comment on combat le cancer ? Il y aurait des techniques ?
La responsabilité individuelle VS. La responsabilité de l’industrie alimentaire, du textile, des transports, etc…
Mais il n’y a évidemment pas que ça. Les mots structurent notre pensée, et cette couverture de responsabilité individuelle jetée sur les faits nous empêche de voir ou de chercher plus loin.
A savoir, la réponse à ces questions .
Elle a perdu son combat, mais :
- Qu’en est-il des toxines dans le sol, dans l’eau, dans l’air ?
- Qu’en est-il des produits toxiques contenus dans le maquillage ?
- Qu’en est-il de la nourriture consommée ? Qu’en est-il de la viande et des produits animaux?
- Qu’en est-il du cuir, traité chimiquement, (qui, au delà de la souffrance animale provoque désastres environnementaux et humains ?)
« Perdre son combat contre le cancer »
…n’est pas une défaite personnelle. C’est juste une défaite du journalisme qui ne sait pas comment débuter une eulogie.
Chaque fois qu’un.e malade reçoit l’injonction de se « lutter »… Chaque fois qu’un.e malade disparaît, et qu’on copie-colle ces mots regrettant son combat perdu, on insinue quelque part que s’ille est mort, c’est faute de ne pas s’être assez battu.e.
Le seul combat perdu est collectif. Et le combat, il n’est pas contre le cancer, mais contre l’ignorance, le devoir de nous informer et celui d’être solidaires.